La pandémie du coronavirus vue de Suède : entretien avec Christopher, immunologiste français au Karolinska Institutet

KI facade Campus Solna
Karolinska Institutet Campus Solna ©Ulf Sirborn/ki.se

La Suède en Kit s’est entretenue virtuellement avec un jeune immunologiste français, travaillant au Karolinska Institutet. Dans cette première partie (un deuxième article suivra très prochainement), Christopher nous explique le plus simplement possible comment la Covid-19 a changé son travail, comment fonctionnent les tests, qui est immunisé mais aussi pourquoi le port du masque n’est toujours pas recommandé en Suède…

L’entretien a été réalisé le 28 novembre et se base donc sur les données officielles du vendredi 27 novembre.

Les propos relatés ici n’engagent que la personne interviewée. Nous vous encourageons à vous référer au site de l’OMS pour connaître les dernières recommandations et informations importantes liées à la Covid.

Le travail d’immunologiste au Karolinska Institutet (KI)

Comment es-tu arrivé en Suède ? Que fais-tu en Suède ?
J’ai passé ma thèse en novembre de l’année dernière, en France, et j’ai commencé le 8 décembre au KI, à Stockholm.

Pourquoi la Suède ? La proximité avec la France est une bonne raison, et ensuite le KI, c’est tout simplement l’un des meilleurs instituts de recherche en biologie en Europe, et probablement dans le monde.

Je me définis comme immunologiste, mais toujours à l’interface soit principalement des virus, soit des cancers. Ma recherche actuelle se fait avant tous sur des virus. J’ai travaillé sur les 5 derniers virus pandémiques ou épidémiques : Ebola, Lassa, dengue, zika, chikungunya et la Covid , avec au bout de 6 mois de travail, une publication dans la revue Science Immunology au mois de juin.

Quand je suis arrivé à KI, j’ai rejoint une équipe spécialisée dans les infections virales, l´immunité tissulaire et les pathologies tissulaires causées par des infections virales.

Quand et comment la Covid-19 a-t-elle modifié ton travail ?
Le phénomène de pandémie a été assez long à se mettre en place, on en entend parler depuis fin décembre 2019. Au début, ça n’inquiétait personne. Officiellement, la crise liée au virus est arrivée fin janvier en France. En Suède, il n’y a rien à ce moment-là. Tout le mois de février, ça monte de plus en plus, la situation devient assez catastrophique en France, qui confine le 17 mars après l’Italie et l’Espagne. Le premier décès suédois survient 4 jours avant le confinement français (13 mars).
Quand on a vu les états se fermer, une inquiétude est montée, parce qu’on est passé d’une maladie qui causait seulement 3 000 morts dans un pays aussi grand que la Chine à une épidémie dans des pays comme la France ou l’Espagne qui fermaient leurs frontières.

Les tests, les anticorps et l’immunité

Concrètement, sur quoi as-tu travaillé ?
J’ai participé à l’effort commun du KI visant à étudier l’ensemble de la réponse immunitaire vis-à-vis de sars-COV2. Il a donc fallu travailler sur les aspects éthiques, obtenir les autorisations, prélever, stocker et expérimenter sur le sang de nombreux patients atteints de Covid. Cela a permis à KI de publier de façon importante et de contribuer à ce que l’institut soit considéré comme une référence mondiale sur le sujet. Un atlas de de la réponse immunitaire a été mis en ligne par KI (covid19cellatlas), ainsi qu’une réflexion sur la manière d’optimiser les tests PCR et comment gagner du temps.
La PCR est une technique d’amplification de l’information génétique. Des cellules sont récupérées dans le larynx, conservées dans un tampon jusqu’à l’arrivée en laboratoire ; à partir de l’ARN, de l’ADN complémentaire est fabriqué, que l’on amplifie ensuite par PCR. Ce cycle prend plusieurs jours dans des conditions normales de travail en laboratoire, il a donc fallu chercher une optimisation.

À quoi sert un test PCR aujourd’hui ? Que faut-il faire pour prouver qu’une personne est malade ?
Un test PCR positif ne veut pas dire que tu es malade. Cela signifie que de l’ARN viral a été retrouvé. La technique étant très sensible, des quantités infimes de virus peuvent être retrouvées en absence de virémie (réelle infection). Quel est le pourcentage de gens réellement malades du virus ayant tout de même reçu un test PCR positif ? On ne le sait pas vraiment…
Le test PCR peut être positif même si tu n’es pas malade. Par contre la probabilité que le test PCR soit négatif alors que tu es malade est très faible. Le test est positif quand le virus t’a infecté, a commencé à se répliquer dans les premières minutes après t’avoir infecté, jusqu’à 3-4 jours après la disparition des symptômes probablement. Pour prouver qu’une personne est malade, il faudrait faire des études de la réponse immunitaire et quantifier le virus dans la circulation sanguine, mais cela demanderait beaucoup de sang et de temps.

Pour savoir si une personne est immunisée, les seuls tests disponibles sont les tests sérologiques. Ces tests disent si une personne a été malade uniquement dans l’éventualité où cette personne a « vraiment » été malade et a développé des anticorps ; mais tu peux être légèrement malade et ne pas arriver jusqu’à ce stade. Tu peux aussi être immunisé dès le départ et donc ne jamais tomber vraiment malade et ne jamais développer d’anticorps. Si tu es négatif pour ce test, on ne peut donc rien conclure, mais si tu es positif, alors on peut considérer que les chances de ne plus redévelopper le virus plus tard sont grandes. A moins que le virus ne finisse par trop muter dans le futur.

Tu peux nous expliquer justement comment l’immunité fonctionne ?
Il y a un truc qui est complètement faux qu’on relit systématiquement dans les articles : il faut avoir des anticorps pour être immunisé. Mais en fait, plus de la moitié des gens sont asymptomatiques et ne tomberont jamais malades, parce qu’ils sont naturellement résistants vis-à-vis de ce virus. Ceux-là n’auront jamais d’anticorps.
Ensuite, tu as les gens faiblement symptomatiques qui ont un petit rhume, des petits symptômes qui durent quelques jours. Il y a une vraie réponse immunitaire qui se met en place, suffisante pour détruire le stock de virus. Tu es malade une semaine, et il est rare de développer des anticorps. De ce fait, il n’est pas certain d’être immunisé dans un tel cas et il faut continuer à suivre les recommandations.
La troisième catégorie concerne les personnes qui vont avoir des symptômes sévères, comme une forte fièvre pendant plusieurs jours, jusqu’à exprimer des complications avec problèmes respiratoires et la nécessité d’aller à l’hôpital. Pour ces personnes, on peut estimer que la réponse immunitaire a été complète, c’est-à-dire qu’elle a été forte, elle a été longue dans le temps, elle a été probablement jusqu’à activer l’ « immunité des anticorps », qui est la dernière à se mettre en place.
Si tu as des anticorps, la probabilité que tu sois immunisé est forte. Mais par contre si tu n’as pas d’anticorps, ça ne veut pas dire que tu n’as pas été exposé au virus et que ton corps ne sait pas se défendre. Une personne testée positive peut, selon les recommandations en vigueur, avoir une vie sociale plus importante que les autres. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’un virus ne se transmet pas que par la respiration et que tout le monde peut contribuer à son déplacement. Par exemple, en touchant une barre de métro contaminée, le virus se dépose dans ta main puis sur tous les objets que tu touches (boutons d’ascenseur, poignées de porte, vêtements…).

©folkhalsomyndigheten.se

Aujourd’hui si j’ai des symptômes, que dois-je faire ?
Au-delà d’avoir de la fièvre ou de la toux, à partir du moment où tu ressens quelque chose de « pas normal », comme une gorge qui gratte toute la soirée, une narine bouchée… tu dois rester chez toi pendant 48 heures après disparition des symptômes. Le moindre petit symptôme compte !
Une partie des gens développe des symptômes très faibles parce qu’ils contrôlent assez bien le virus, cela peut prendre 2-3 jours. Et si tu sors, le problème est que tu peux répandre le virus, donc il faut rester chez soi !

Pour me faire tester,  je consulte le 1177.se (ou Alltid öppet) et j’attends qu’on me livre mon test par taxi. Mais cet auto-test est-il fiable ?
En théorie, l’avantage du test PCR, c’est de tester non seulement la présence du virus, mais aussi la présence d’un gène de référence pour vérifier que le test a été effectué dans des conditions satisfaisantes. Donc normalement, on demande aux gens qui ont mal effectué le test de le refaire.
C’est donc un énorme avantage par rapport au test antigénique qui, lui, ne permet pas de savoir si le test est mal fait. Le premier fabricant du test antigénique explique d’ailleurs que l’efficacité est de seulement 80 %.

Ce que tu décris avec le test envoyé par taxi, c’est ce qu’il se passe à Stockholm, mais dans d’autres parties de la Suède, il faut prendre rendez-vous pour se faire tester.

Peut-on suivre l’évolution de l’épidémie grâce à ces tests ?
Pour avoir un suivi fiable de l’épidémie, il est important de garder la même stratégie. Par exemple, si on regarde la courbe de la France, on peut voir l’effet de l’augmentation de l’utilisation du test antigénique vers le 7 novembre : la France passe alors d’environ 60 000 cas (22 % de positivité des tests) à 30 000 (19 % de positivité), associée a une diminution drastique des tests.

En Suède, l’idée est d’essayer de garder le test PCR comme référence afin de maintenir la fiabilité du suivi. À partir du moment où tu changes de technologie, tu obtiens des chiffres qui ne veulent plus rien dire, ou en tout cas, tu ne sais plus dans quel sens ça évolue pendant quelques jours. Pour savoir si on arrive actuellement à un plateau en Suède, ça n’est surtout pas le moment de généraliser les tests antigéniques. Il y a des régions qui poussent dans ce sens, parce que les régions en Suède ont la possibilité de choisir leur stratégie de test. Dans certaines régions, les tests antigéniques vont se mettre en place dans les maisons de retraite cette semaine.

Il y a eu des périodes où il n’était plus possible de se faire tester…
Le système arrive à saturation : il n’y a plus assez de personnel pour effectuer les tests, mais également une difficulté à trouver des taxis. C’est pour cette raison que les régions poussent pour faire des tests antigéniques, plus rapides, MAIS moins sensibles. Au final, les gens se font tester pour voir leur famille, pour faire une fête ou un événement particulier, mais ça n’est pas la raison d’un test. Si tu n’es pas malade, tu dois considérer que tu peux sortir tout en continuant à suivre les recommandations et en diminuant franchement tes déplacements. Ne pas oublier que la seule mesure efficace contre le virus est de rester isolé les uns des autres.

S’il y a pénurie de taxis, pourquoi ne pas mettre en place des lieux sécurisés pour réaliser le test ?
Parce qu’il est impossible de rassembler des gens sans qu’il y ait de transmission. La Suède fait tout pour éviter la formation de nouveaux clusters. On parle de 250 000 tests par semaine à l’échelle nationale. Soit pour la seule région de Stockholm entre 50 000 et 70 000 tests par semaine, entre 7 000 et 10 000 personnes qu’il faudrait rassembler chaque jour. Même le personnel hospitalier qui prend les précautions maximales tombe malade. On manipule le virus en laboratoire P3+/P4, avec une combinaison à usage unique, un « scaphandre » et même comme ça, j’ai des collègues qui tombent malades.

Test à faire soi-même ©.norrbotten.se

La question du port du masque

Depuis le début de la pandémie, Anders Tegnell ne recommande pas le port du masque…
Les articles montrent une efficacité allant de faible à nulle pour ce genre de protection. En Suède, on pense donc que c’est dangereux de l’étendre à la population, car cela entraînerait une diminution de l’isolement que chacun est sensé respecter en suivant les recommandations (télétravail, sortir moins souvent…). Ce n’est pas un moyen de lutte suffisamment efficace pour autoriser les gens à aller travailler ou aller dans les boutiques comme si de rien n’était. On le voit clairement avec les métropoles européennes qui subissent une deuxième vague de contamination, pour l’instant similaire à la première, malgré le port du masque. Cela vient du fait que les transports étaient « blindés », de même que les supermarchés, boutiques et restaurant avant les confinements, et que ce n’est surtout pas quelque chose d’efficace pour lutter contre le virus. Encore une fois, le seul moyen dont on dispose aujourd’hui pour empêcher qu’un virus se répande, c’est de rester chez soi, c’est la distanciation sociale. Je ne te parle pas des 1,5 mètre /2 mètres quand tu vas faire tes courses, je te parle vraiment de rester chez toi.

Un dessin signé Steget Efter, à suivre sur Twitter ou stegetefter.se

Mais le masque ne protège pas les autres si tu éternues par exemple, plus qu’il ne te protège toi-même ?
Cela ne va pas empêcher, cela va très faiblement diminuer la probabilité de contaminer quelqu’un.
Le deuxième aspect du masque, c’est qu’on répand nos propres microbes parce que le masque ne filtre pas grand-chose et on a aussi tous l’habitude de mettre notre main à notre bouche. Ce geste implique que l’on peut récupérer les microbes déposés à la surface du masque et les déposer sur tout ce que l’on touche. De plus, si le masque n’est pas jeté au bout de 4 heures, des proliférations bactériennes et des champignons surviennent et seront répandues dans l’environnement par le toucher.

Tegnell : Alors vous devriez porter un masque au travail ©gp.se

Pourtant Anders Tegnell a déclaré cette semaine qu’il peut être approprié de porter un masque au travail lorsque les personnes sont à moins de 1 à 2 mètres pendant plus de 15 minutes…
À KI, on a mis ça en place depuis mars. Peut-être que le masque peut aider, si tu travailles avec un collègue de façon extrêmement proche et prolongée, plus de ¼ heure, ½ heure, 1 heure : dans ce cas, tu perds peut-être 10-15 % de probabilité de te faire contaminer. Mais c’est au cours d’un contact étroit, dans un contexte précis. Il ne s’agit pas de remplir un bureau avec des personnes qui portent le masque : si l’entreprise est pleine, porter un masque ne va rien changer.
Folkhälsomyndigheten (l’agence de la santé suédoise) ne recommande pas officiellement de porter un masque.

Cas confirmés (sjukdomsfall), malades en soins intensifs (intensivvårdade) et personnes décédées (avlidna) du coronavirus au 27 novembre ©Folkhälsomyndigheten

La différence de stratégie entre la Suède et la France

Quels sont les avantages et les défauts des stratégies française et suédoise ?
La grande différence, c’est le masque et le confinement. Les masques n’ont pas servi à empêcher la transmission du virus en France. Le seul moyen qui fonctionne, c’est vraiment la distanciation sociale selon moi.

C’est assez surprenant que tu parles en premier du masque comme différence de stratégie entre les 2 pays, et non du confinement…
Pour moi, le confinement est assez similaire dans les 2 pays. La seule différence est qu’en Suède, le confinement est allégé de telle sorte que l’on puisse le tenir durablement en s’autorisant de temps en temps une sortie (mais le moins souvent possible) tant que cette pandémie, et ce, durant des années. Il est probable que la situation l’an prochain à cette période soit similaire à celle de cette année.

Si tu écoutes les discours et les recommandations du Premier Ministre, tu ne dois pas rencontrer de personnes extérieures à ton foyer, donc sortir uniquement avec tes enfants ou ton/ta conjointe…
L’idée est d’envoyer un message fort : sortir le moins possible ! Mais si tu en as besoin (parce que ça va moins bien, parce que ça fait plusieurs semaines que tu n’es pas sorti…) tu peux choisir de le faire avec les personnes (1 ou 2 maximum) parmi celles que tu vois toutes les semaines. On est tous humains et à un moment donné, ce n’est pas possible de rester longtemps enfermé chez soi. L’idée est donc d’autoriser les gens à faire une sortie, par exemple au restaurant, de temps en temps mais cela doit rester exceptionnel, et permettre de les soulager suffisamment. Cela leur permet également de continuer à travailler depuis chez eux le reste du temps, et de limiter leurs déplacements.
Il faut bien comprendre que, tant que la population ne sera pas vaccinée (le point est discuté dans la seconde partie de l’entretien, à paraître prochainement), ce virus est ici pour rester. C’est vraiment essentiel de donner aux gens la possibilité de lutter dans le temps.
Le grand avantage de la stratégie suédoise : en France, cet été, rien n’avait changé mais avec un masque… et avec les résultats que l’on connaît.

Pourtant en Suède des plages et des restaurants étaient aussi bondés cet été ?
Évidemment, il y a des gens qui ne respectent pas les règles de distanciation. Ce qu’il faut voir, ce sont les gens qui ne se sont pas retrouvés dans les lieux publics. Ce sont ceux-là qui comptent vraiment, et ils sont la majorité. La crise s’est aussi installée en Suède avec des chiffres en baisse dans tous les secteurs du tourisme.

Et pour en revenir aux avantages et inconvénients de la stratégie suédoise…
C’est de pouvoir suivre des restrictions plus longues qui ont été selon moi plus suivies cet été par rapport à la France.
Les autres avantages ce sont les auto-tests, mais aussi le fait de pouvoir être en arrêt maladie sans justificatif de son médecin.
Sur la première vague, il n’y a pas eu ici de saturation des soins intensifs.
Pour les points négatifs, je dirais une situation qui perdure plus longtemps que les pays qui ont confiné, puisque le virus continue à circuler ; c’est lié également au problème des personnes qui ne respectent pas les recommandations.
En Suède, on est convaincu qu’on peut s’en sortir sans confiner drastiquement les gens, en suivant les recommandations et en autorisant de temps en temps des sorties afin de tenir sur la durée.

Quelle proportion de la population respectant les recommandations est suffisante ?
On ne connaît pas le pourcentage de personnes qui ont respecté les recommandations pendant la première vague en mars-avril-mai, mais ça a suffi. Cependant, l’idée ici est d’éviter un système on/off (confiné et non confiné, où les gens feraient n’importe quoi), de tenir même l’été et surtout à l’automne, même si malheureusement de nombreuses entreprises ont demandé à leurs employés de revenir travailler début septembre.

La comparaison des résultats entre pays

Est-ce juste de comparer la Suède avec ses pays voisins (plutôt que la France ou l’Espagne par exemple) ? Pourquoi la Suède déplore plus de morts que ses voisins ?
On ne peut pas comparer la Suède avec la Norvège : la Suède a une très nette proportion de main d’œuvre fournie par l’étranger, et est connue pour être un pays avec de l’emploi hautement qualifié. Le problème est qu’on a beaucoup plus de mal à expliquer à ces personnes qu’elles ne doivent pas partir en week-end ou en vacances dans leur pays.
Sans confinement, le virus va naturellement circuler plus facilement.
C’est un phénomène constaté dans tous les pays avec un apport important de population d’immigrés, comme par exemple la Belgique qui a connu un nombre de décès beaucoup plus élevé.
Il y a aussi le fait que, dans le sud de la Suède, il y a des échanges importants avec le Danemark, ainsi que beaucoup de transfrontaliers avec la Norvège et la Finlande. Cela change beaucoup la donne : lorsque la Norvège est confinée, un Suédois ne peut pas traverser la frontière mais un Norvégien peut entrer en Suède.

La surmortalité avec l’indicateur standardisé (Z-score) ©euromomo.eu

Quand tu juges les résultats d’un pays, ce ne sont pas que des résultats sanitaires, que des gens qui meurent, il faut penser aussi aux enfants qui continuent à aller à l’école, aux malades qui continuent à se faire dépister et peut-être que dans 15 ou 30 ans, on se rendra compte qu’il y a moins de cancers en Suède que dans les pays où les soins ont été à l’arrêt.

Quels sont les indicateurs à suivre pour mesurer l’évolution d’une pandémie ?
Comparer un pays par rapport à un autre, c’est une question vraiment complexe parce qu’au-delà du nombre de morts, il y a beaucoup d’autres aspects.
Si tu regardes le nombre de morts officiel, la définition est différente dans la plupart des pays du monde, donc c’est très compliqué de comparer. Mais surtout, on ne peut pas se limiter à ce seul indicateur. Aujourd’hui, on arrive à une situation où à la fois ce nombre est surestimé parce que tu as tout un tas de gens positifs à la Covid qui auraient dû mourir quoi qu’il arrive dans les prochains mois, de vieillesse ou d’un cancer. Mais ce chiffre est aussi sous-estimé parce qu’on ne peut pas tester tout le monde, et encore plus en mars où il n’y avait pas de test, et où une personne avec une pneumonie était alors déclarée Covid, sans le savoir vraiment. Ce chiffre est sous-estimé aussi parce que ce ne sont pas que les gens testés positifs à la Covid qui meurent, ce sont aussi ceux qui n’ont pas eu accès aux soins. Un accidenté de la route, qui aurait pu être traité à temps le sera plus tardivement car il y a des tensions au 1177/112 (temps d’attente), puis au niveau des ambulances qui mettront probablement plus de temps à arriver, puis au niveau des urgences où le personnel sera débordé. Il y aura enfin plus tard les maladies et cancers non dépistés. Il y a aussi les dépressions et les suicides…

Donc pour comparer entre les pays et avoir un véritable suivi des conséquences d’une épidémie, il faut regarder la surmortalité qu’on peut trouver sur le site Euromomo de l’Union Européenne. Pour la Suède, la surmortalité pour la période de mars à mi-octobre est de 4 800 morts contre 6 000 morts pour le chiffre officiel.
Dans les pays nordiques, qui suivent la définition de l’OMS, même une mort suspectée d’être liée à la Covid, sans avoir été dépistée, va être considérée comme un décès lié à la Covid. Ce qui n’est pas le cas des autres pays.

La surmortalité en France depuis mars 2020 ©euromomo.eu
La surmortalité en Suède depuis mars 2020 ©euromomo.eu

Ce taux de surmortalité est actuellement négatif en Suède, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de morts dus à la Covid, mais c’est plutôt l’effet des restrictions. Les gens ont changé leurs comportements et il y a donc moins d’accidents domestiques. C’est cette baisse de morts qui compense les décès liés à la Covid. L’avantage de ce chiffre est qu’il représente vraiment tout : les morts du virus, les morts des accidents de la route avec des secours qui sont arrivés trop tard, les suicides… tout l’impact que peut avoir dans une société la pandémie.

… la suite prochainement !

 

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A propos Fabrice E 175 Articles
En Suède depuis quelques années, toujours curieux et intéressé par les différences culturelles France-Suède. Mes sujets de prédilection sont billets d'humeur, architecture, pop culture, médias, sorties culturelles et randonnées. Retrouvez mes photos sur instagram : fabisverige

5 Commentaires

  1. Bonjour, j’ai plein de questions en lisant cet article. Vais me limiter à quelques unes. La première est d’ailleurs peut-être plutôt pour un sociologue : les masques ne peuvent-ils pas remplir une fonction moins scientifique, mais plus pratique, rappelant de fait qu’il ne faut pas se toucher le visage et décourageant les sorties parce que c’est moins drôle avec un masque ? Le « tu dois rester chez toi pendant 48 heures après disparition des symptômes », c’est plutôt « tu dois rester chez toi depuis l’apparition des symptômes jusqu’a 48 heures après leur disparition », non ? Concernant la surmortalité « contre 6.000 morts pour le chiffre officiel » : le chiffre officiel de quoi ? Et la surmortalité de 4.800, ce n’est donc pas un chiffre officiel ? Où voit-on ces 4.800 sur le graphique juste en-dessous ? Aucun des indicateurs de la légende ne sont très parlants pour un non-initié. Merci !

    • Bonjour Sophie,
      Il s’agit en effet de rester chez soi dès l’apparition des symptômes et attendre encore 48 heures après leur disparition.
      Dans l’article, Christopher oppose 2 chiffres : la surmortalité comparée aux années antérieures et le chiffre officiel des décès liés au Covid.
      Les 4 800 morts n’apparaissent pas sur le graphique en-dessous de l’article, c’est une donnée pour la période de mars à mi-octobre.
      L’estimation des excès de décès s’appuie sur le calcul d’un indicateur standardisé (Z-score), qui permet de comparer les excès entre différents niveaux géographiques ou classes d’âges. C’est l’évolution du z-score qui est suivie sur ce graphique.

  2. Je suis étonné de cette bienveillance vis-à-vis de la « méthode suédoise ». Pourtant tous mes collègues à KI sont très critiques de la ligne Tegnell…

    Moi-même étant médecin à KI, j’ai bien remarqué de graves conséquences pour les soins « non-COVID », contrairement à ce qui est évoqué : énormément d’opérations ont été annulées ou décalées à plusieurs mois, les équipes étaient globalement débordées, il y a eu des burn outs chez les médecins et les infirmiers/infirmières, etc.

    Quant au masque, je suis étonné des commentaires : la situation en France peut-elle sérieusement remettre en cause l’utilité des masques… ? Et de quels articles est-il question ? Parmi les articles sur les dernières études qui circulent entre collègues (du Lancet, NEJM, JAMA…), l’avis est unanime sur l’importance du masque.

    Enfin, imputer la situation suédoise à la population immigrée comme prétexte pour ne pas comparer avec le Danemark ou les autres pays scandinaves est assez révoltant. Dans les services, les malades du COVID avaient des noms de famille très suédois d’origine suédoise, et de ce que j’ai entendu, Arlanda était et est plein de têtes blondes.

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