Étudier à Uppsala, témoignages de Français. Episode n°1 : rencontre avec Laetitia

Laetitia
©Laetitia F.

Ils ont choisi d’étudier à Uppsala. Nous avons tout d’abord essayé de comprendre leurs motifs – si motifs il doit y avoir –, leur quotidien, leurs conditions de vie, l’évolution de leurs goûts, la teneur de leurs rencontres, et, finalement, passant d’une échelle à l’autre, de saisir au fond le rapport qu’ils entretiennent au pays, à sa langue, à ses habitants. Nous inaugurons cette galerie d’étudiants français d’Uppsala par l’expérience de Laetitia, arrivée dans la ville un jour de l’été 2017.

C’est un nom, Uppsala, une histoire, un siècle, le XVème siècle, celui même de la fondation de son université. Uppsala, 4ème ville du pays en termes démographiques, c’est d’abord une légitimité historique, puis une identité étudiante pluriséculaire. Nous avons voulu partir à la rencontre de ceux de ces étudiants français, qui pour quelques mois, sinon quelques années, ont résolu de déposer leurs valises dans cette vieille, et belle et quiète cité suédoise.

Très bien connectée par voie routière et ferroviaire à Stockholm, Uppsala se situe à environ 70 kilomètres au nord de la capitale suédoise. Comptez 40 minutes pour relier en train Stockholm à Uppsala. ©Encyclopédie Larousse

De bouche à oreille

« J’ai débarqué à Uppsala à la fin du mois d’août 2017. J’ai été admise à l’université en master de marketing. Pourquoi j’ai choisi Uppsala ? Je n’avais jamais mis les pieds encore en Suède, mais une amie, Adeline, m’avait fait l’éloge de la ville. Alors, pourquoi pas ? Tout a démarré comme ça. »

Ainsi débute la conversation qui va rouler pendant plusieurs heures sur le parcours et l’expérience suédoise de Laetitia F., jeune femme de 26 ans, souriante, allure athlétique, silhouette singulièrement dynamique, qui vient à peine de quitter la selle de son tout nouveau vélo de compétition, quand nous pénétrons dans un café de Stockholm, par un jour pluvieux de juin.

Ainsi, ce n’est pas par réputation, pour le doux nom d’Uppsala, ce n’est pas par amour, ce n’est pas par hasard, c’est par un conseil, une médiation, par l’entremise de cette amie qui y avait fait un stage, que Laetitia est venue en Suède, ou plutôt, qu’elle est venue à la Suède.

« Je voulais faire le pari de l’originalité »

Néanmoins, choisir la Suède, choisir Uppsala, aux dépens de Lyon et de son École de Management dans laquelle elle aurait eu la possibilité de poursuivre ses études, c’était se trouver face à un redoutable dilemme.

« D’un côté, tu comprends, j’avais le sentiment de renoncer avec Lyon à un réseau, à un carnet d’adresses, à une école prestigieuse, mais de l’autre, je voulais faire avec Uppsala le pari de l’originalité, celui d’un choix assez audacieux, et puis, je crois bien que j’avais pris le goût des études à l’étranger… »

L’étranger, oui. Car avant d’habiter Uppsala, Laetitia avait d’ores et déjà choisi de plier bagages dans le passé pour Carthagène, puis Berlin. Uppsala ne sera après tout que sa troisième grande expérience européenne.

« Partir, déménager, c’est excitant, on se retrouve au quotidien confronté à une multitude de petits défis, et chaque défi surmonté paraît comme une petite victoire gagnée contre soi-même. » 

Hall principal de l’université d’Uppsala. ©Antoine Vermauwt

L’argument financier : des droits d’inscription réduits à zéro

Nouvelle station, donc, en cette année 2017 : Uppsala, où elle habite depuis lors. L’argument financier n’est pas étranger à ce choix ; disons, au contraire, qu’il a dans son cas été déterminant.

« Lyon, ça m’aurait coûté une fortune, j’aurais dû m’endetter. L’avantage d’Uppsala était surtout financier, je pouvais y étudier pour ainsi dire gratuitement : c’est un luxe, vraiment. »

Laetitia met un point d’honneur à ne pas s’endetter, et revient à plusieurs reprises au cours de la conversation sur ce sujet, en même temps que sur celui de la gratuité des études à Uppsala.

« Une année de Master ne coûte rien, absolument rien, zéro euro en Suède pour les citoyens de l’Union Européenne. Les droits d’inscription ? Je n’en ai payé aucun. »

Plus dans la tête, plus dans le ventre, autant dans les poches : voilà la formule, séduisante, qu’elle a choisie.

Accéder à l’université

Mais comment faire, comment accéder à l’université ? « Je ne suis pas entrée à l’université comme étudiante Erasmus. J’ai déposé ma candidature sur une plateforme et j’ai dû attester d’un niveau d’anglais suffisant pour suivre le cours. J’ai donc passé l’IELTS (International English Language Test System). » La plateforme en question a été décrite dans le détail par notre rédactrice, Juliette.

 

Capture d’écran du site Internet « University Admissions ». Particulièrement clair, bien construit et simple d’utilisation, il précise (voir la phrase sélectionnée ci-dessus) que les citoyens de l’Union Européenne et de l’Espace Economique Européen sont dispensés des droits d’inscription. 

La particularité des études de marketing à Uppsala

Son dossier accepté, Laetitia découvre très vite à Uppsala un mode de vie différent, mais d’abord, des études parfois éloignées de ses expériences passées. « On forme des managers en France et des chercheurs en Suède. Les études sont théoriques, trop théoriques, elles manquent de concret. Mais je ne regrette rien. » Il faut dire que pour ne rien regretter, Laetitia a su également s’inventer un quotidien où se mêlent à l’envi, aux côtés des études, les amis et les activités sportives.

Ekonomikum : façade principale, par une journée d’hiver. ©Université d’Uppsala

 

Au-delà des études, un quotidien tissé par les amitiés et le sport

On peut dire de Laetitia qu’elle fait partie des chanceuses, de celles qui ont décroché l’une des 55 chambres mises à disposition par sa nation – celle d’Upland. Tout étudiant d’Uppsala se doit en effet de s’inscrire dans une nation. Il en est une dizaine – 13, pour être précis – dont les locaux s’éparpillent dans la ville. Chacune a son histoire propre, ses rites, ses fêtes, ses spécialités, et, pour la plupart, des logements, donc.

Panorama des nations d’Uppsala. De gauche à droite, en partant du registre supérieur : nations de Norrland, Göteborg, Gästrike-Hälsinge, Stockholm, Södermanlands-Nerikes, Västmanlands-Dala, Kalmar, Gotland, Småland, Östgösta, Västgösta, Uplands, Värmland.

Caractéristique des logements des nations : ils sont dans l’ensemble moins chers que ceux des grandes cités étudiantes où se regroupent en majorité les étudiants internationaux de la ville, par exemple la cité étudiante de Flogsta. Pour son logement fourni par Uplands Nation, Laetitia débourse mensuellement 3 200 couronnes (contre plus de 4 000 kr à Flogsta), avec la gratuité complète lors des deux mois de coupure estivale.

Autre caractéristique : si l’on y vit dans une chambre individuelle – d’une superficie de 14 m² dans le cas de Laetitia –, si l’on y partage des pièces communes comme la salle de bains et la cuisine, le nombre de colocataires s’y réduit à 1 ou 2 dans la plupart des cas. Là où, à Flogsta – nous le verrons dans la suite des témoignages – la plupart des « corridors » sont composés de 12 logements, donc de 12 étudiants qui vivent ensemble, ils ne sont que 2 ou 3 dans les logements des nations.

Quand elle n’est pas à Ekonomikum ou dans sa chambre étudiante, Laetitia s’adonne à toutes sortes d’activités, au premier rang desquelles de longues promenades à bicyclette dans et autour d’Uppsala. « J’aime particulièrement rouler jusqu’à Gamla Uppsala et longer, à Uppsala, la rivière que l’on appelle « Fyrisån » » Si rouler est un loisir, Laetitia ne répugne pas à se lancer ponctuellement dans quelques défis sportifs.

Fyrisån. ©Laetitia F.

 

« Je me suis ainsi inscrite un beau jour au triathlon d’Uppsala : c’est une amie italienne qui m’a entraînée dans ce défi. Nous nous entraînions dans la piscine de Fyrishov. » Inutile de dire que ce défi sera relevé avec succès par cette jeune femme dont la carrière sportive avait déjà été marquée en France par une pratique du tir au pistolet à haut niveau – pratique qu’elle a néanmoins poursuivie, faute de temps, de façon moins intensive et plus irrégulière en Suède.

Quand je l’interroge sur les aspects positifs ou négatifs de son séjour de près de 3 ans à ce jour en Suède, Laetitia répond précisément et aborde des thématiques que l’on retrouve de fait dans les autres témoignages étudiants. Ils concernent tout aussi bien la luminosité que les voyages, les relations malaisées aux Suédois, que l’enthousiasme généré par la vitalité culturelle et festive des nations.

« Si tu prends en compte par exemple la luminosité, c’est évidemment un problème, bien plus que le froid. Le froid est sec, trois couches de vêtements te suffisent. En revanche, il est plus délicat de faire face au manque de luminosité à partir de l’automne. Il s’agit surtout de ne pas s’isoler, d’accepter de s’adapter et de changer son emploi du temps, enfin de recourir à une supplémentation en vitamine D. »

Mais l’envers de l’automne a lieu au printemps, puis à l’été : les saisons sont particulièrement marquées en Suède, où le manque de lumière automnal et hivernal est balancé par la surabondance printanière et estivale. Le printemps, l’été… « ce sont les saisons du barbecue et du kubb ». Et des voyages ? « Non, il vaut le coup de voyager en hiver comme en été. Je me rappelle avec beaucoup d’émotion d’un voyage en train hivernal d’Uppsala à Abisko en Laponie. »

Français et Suédois : comment créer du lien ?

– Et comment caractériserais-tu ta relation aux Suédois ?

« Elle est ambiguë. D’un côté, j’apprécie la vie étudiante à Uppsala, qui est très développée et qui m’amène à rencontrer des Suédois. Mais il n’empêche qu’il est difficile de créer du lien avec les Suédois. » Car pour être serviables, très serviables même, ceux-ci sont décrits par Laetitia comme particulièrement rétifs à permettre l’accès à leur cercles amicaux. « Je trouve que les relations humaines manquent dans l’ensemble de chaleur, mais il ne faudrait pas généraliser : il y a des exceptions. Et je pense que c’est vraiment particulier à Stockholm et Uppsala. »

Bref, il s’en faudrait qu’il existe un portrait-type national du Suédois. Le Suédois est une fiction, au même titre que le Français, le Sénégalais ou l’Ouzbek !

Si le réseau d’amis de Laetitia comprend de nombreuses nationalités réparties sur tous les continents, les Français y occupent alors une place d’honneur. Elle poursuit : « En arrivant ici, je me suis dit d’emblée que je devais veiller à ne pas m’enfermer dans la seule communauté des Français, mais très vite, pourtant, j’ai ressenti le plaisir de fréquenter des Français. » Quoi de plus naturel, après tout ?

D’où alors ce besoin, parfois, ou plutôt ce plaisir, quelquefois, de renouer avec la France, avec le pays natal, de parler français, de l’entendre parler : très exactement cette « émotion de la provenance » dont le poète et philosophe Jean-Christophe Bailly confessait en 2011 dans son Dépaysement avoir fait l’expérience à New York, tout comme Laetitia quelques années plus tard à Uppsala.

De là, aussi, sa participation active à l’organisation du Franska filmfestival, qui l’a conduite à s’occuper bénévolement avec son amie Adeline – la fameuse amie dont nous parlions au commencement de cet article – de la communication de ce festival cinématographique.

Au travers des mailles. Un bivouac au bord d’un lac de la Suède septentrionale, en compagnie d’une amie et de myriades de moustiques et « svidknotten » voraces. ©Laetitia F.

Au menu de cet été, la Dalécarlie, le Jämtland et la Laponie ?

Laetitia devrait achever son Master cet été ou cet automne. Ensuite ? « Je ne suis pas forcément décidée à rentrer en France, je me verrais volontiers rester en Suède. » Signalons qu’elle a d’ores et déjà commencé à y chercher un emploi.

En attendant, la jeune femme ne manque pas de projets. Elle m’avait conté au début du mois son désir de parcourir le pays cet été, et son désir de visiter à terme la Laponie (Lappland) : elle en prend bon chemin, puisque sans avoir encore atteint le comté le plus septentrional du pays, Laetitia, à l’heure où j’écris cet article, s’en revient en effet d’un inoubliable séjour qui l’a conduite en compagnie de son amie italienne Anna à bourlinguer du comté de Dalécarlie (Dalarna) à celui du Jämtland jusqu’à franchir la frontière avec la Norvège voisine : « Oh… C’était merveilleux ! On a découvert des endroits qui nous ont fait rêver ! ».

Qui s’y frotte s’y pique… et s’y plaît ?

En témoignent ces dernières photographies, qui rendent compte des superbes instants que Laetitia vient de passer dans la luminosité singulière du solstice d’été. En témoignent non moins ces innombrables piqûres de moustiques et « svidknotten » dont les nuées sans relâche ont assailli les deux compères : « Ce fut épouvantable ! Les mailles de la moustiquaire n’y ont rien pu faire… ».

Au fond, et en manière de conclusion, je veux y voir toute l’originalité du rapport de Laetitia à la Suède, à ce pays dont on se frotte, puis se pique. Oui, d’un mot, qui s’y frotte s’y pique… et, rajoutons, qui s’y frotte s’y plaît. S’y pique et s’y plaît, tout ensemble.

Au milieu du chemin, la rencontre d’un renne solitaire. ©Laetitia F.

 

 

 

A propos Antoine V 5 Articles
Enseignant, sempiternel étudiant, j'enseigne depuis 2019 au Lycée Français Saint-Louis de Stockholm. Doctorant en Histoire contemporaine, je m'intéresse aux relations internationales depuis le XIXe siècle, et, au sens large, à l'histoire socio-culturelle européenne.

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