L’entrée en fonction fin 2021 de l’équipe gouvernementale dirigée par Magdalena Andersson s’est faite au rythme des scandales concernant plusieurs de ses ministres.
La Première ministre elle-même est au centre du « städgate » (du suédois städa, nettoyer), une sale affaire d’emploi de personnel de ménage en situation illégale qui questionne la supposée exemplarité des politiques suédois.
Le 30 novembre 2021, le jour même de l’annonce de la composition du gouvernement dirigée par Magdalena Andersson, première femme à accéder à la fonction de Premier ministre (statsminister), éclatent les deux premiers scandales. Ils concernent Tomas Eneroth et Annika Strandhäll, deux vétérans de la politique déjà ministres sous Stefan Löfven.
Mais il ne se passera pas longtemps avant que d’autres ministres ne fassent parler d’eux au rythme impressionnant d’un scandale par semaine. Explications par la Suède en kit.
1. Les mains baladeuses de Tomas Eneroth (Ministre de l’infrastructure)
En marge du congrès des sociaux-démocrates suédois le 6 novembre 2021, l’actuel ministre de l’infrastructure Tomas Eneroth a, comme l’écrit pudiquement la chaîne publique SVT, « touché de façon inappropriée » le postérieur d’une membre du parti, ceci devant plusieurs témoins.
L’affaire est immédiatement rapportée aux instances du parti et déclenche une enquête interne.
Plusieurs voix s’élèvent rapidement au sein même du parti, notamment dans son district électoral de Kronoberg, pour dénoncer la décision de Magdalena Andersson de le maintenir à son poste de ministre alors qu’une enquête est en cours. Une situation effectivement embarrassante pour un gouvernement qui se proclame ouvertement féministe.
Une plainte étant également déposée auprès de la police, l’enquête préliminaire de la procureure – accueillie favorablement tant par Magdalena Andersson que Tomas Eneroth – débouchera assez rapidement sur l’abandon de la procédure, prononcé le 8 décembre.
Peu connu avant cette affaire, Tomas Eneroth figure depuis dans le bas du classement de la popularité des ministres suédois.
2. Les neuf factures impayées d’Annika Strandhäll (Ministre de l’environnement et du climat)
La nomination d’Annika Strandhäll comme ministre de l’environnement et du climat en remplacement de son prédécesseur Per Bolund, démissionnaire du gouvernement Löfven III, est un pari audacieux de Magdalena Andersson.
Bête noire de l’opposition, réputée pour sa présence assidue sur Twitter, son précédent poste comme ministre des affaires sociales de 2014 à 2019 s’achèvera sur un vote de défiance en mai 2019.
La disparition brutale de son mari durant l’été 2019 la conduit à démissionner de ses responsabilités gouvernementales pour retrouver son mandat de députée avant de faire son come-back en novembre 2021 aux commandes du portefeuille majeur et fortement médiatique de l’environnement et du climat.
Ce sont toutefois ses finances personnelles qui vont constituer le sujet du second scandale du gouvernement Andersson, lequel éclate le jour même de la nomination d’Annika Strandhäll. Le journal Aftonbladet, puis le lendemain la chaîne TV4, dévoilent qu’elle a fait au total l’objet de neuf procédures pour factures impayées auprès de Kronofogden, l’agence nationale de recouvrement.
Confrontée à la révélation d’Aftonbladet, la ministre se déclare surprise de ces deux procédures en cours puis invoque des circonstances personnelles turbulentes. Les montants sont modestes, 871 et 2055 couronnes suédoises mais l’impression de négligence donnée par cette affaire est désastreuse pour la ministre. Être fiché chez Kronofogden est en effet synonyme de grandes difficultés à se procurer un crédit, un abonnement ou même simplement pouvoir commander en ligne.
Quand TV4 mentionnera le lendemain qu’il y a eu en réalité un total de neuf procédures à l’égard d’Annika Strandhäll étalées entre 2018 et 2021, Magdalena Andersson est forcée de s’exprimer. Elle renouvelle toutefois sa confiance envers sa ministre mais attend d’elle « qu’elle fasse un examen approfondi de ses finances« .
Depuis cet épisode, Annika Strandhäll occupe la place peu envieuse de la ministre la moins populaire du gouvernement Andersson.
3. Le bras levé d’Ida Karkiainen (Ministre des affaires civiles)
Magdalena Andersson n’aura eu qu’un très court répit avant que n’éclate un nouveau scandale. Cette fois-ci, c’est le passé de sa jeune ministre (33 ans) originaire d’Haparanda – ville frontalière de la Finlande dans le Nord de la Suède – qui va déclencher une nouvelle polémique.
Le site Internet Nyheter Idag publie en effet dès le 6 décembre une photo de la ministre dans une pose « qui évoque un salut hitlérien » selon la formule prudente de la presse du soir.
Le même article mentionne que des soirées rythmées par la musique « white power » (vit makt en suédois) se seraient déroulées dans l’appartement qu’Ida Karkiainen partageait avec son compagnon Mattias Lind.
Celui-ci est le percussionniste du groupe de musique métal Raubtier, connu pour ses chansons faisant référence à la Seconde Guerre mondiale et des titres tels que « Achtung Panzer » ou « Kamphund » (chien de combat).
L’information est rapidement reprise par la presse du soir (notamment Expressen) où la ministre enchaîne les dénégations avant de devoir concéder « qu’elle a pu faire un salut hitlérien » mais que c’était dans ce cas de façon ironique. Le drapeau des États confédérés d’Amérique qui décore le lieu de répétition du groupe Raubtier ? La ministre dit « n’avoir rien à voir avec la décoration du local »
Quant à la question de la musique « white power » écoutée dans ses soirées privées, la ministre indique ne pas y adhérer mais se défend dans le même article de n’avoir aucune responsabilité s’agissant des chansons jouées par ses invités.
Madgalena Anderssson a conservé sa confiance à Ida Karkiainen.
4. Les vérités orwelliennes de Khashayar Farmanbar (Ministre de l’énergie et de la digitalisation)
Le suédo-iranien Khashayar Farmanbar accède pour la première fois à des responsabilités gouvernementales au sein de l’équipe de Magdalena Andersson. Très rapidement il se retrouve exposé aux médias en raison de l’explosion des prix de l’électricité durant l’hiver 2021.
En parallèle, la Commission européenne accède le 1er janvier 2022, à la demande de plusieurs pays dont la France, d’inclure le nucléaire comme énergie renouvelable au sein de la taxinomie de l’UE. Une position partagée de tout temps par la Suède, si l’on en croit les propos de Khashayar Farmanbar lors d’une interview donnée à SVT le 3 janvier 2022 :
Regeringen har under hela det här arbetet [med taxonomin] drivit att kärnkraften ska ingå i kommissionens definition [av hållbarhet].
(Le gouvernement a tout au long du travail [sur la taxinomie] fait pression pour que l’énergie nucléaire soit incluse dans la définition de la Commission [comme durable]).
Pourtant à peine un mois plus tôt. dans une autre interview à SVT datée du 2 décembre 2021, le ministre refusait lui-même de préciser si la Suède considère l’énergie nucléaire comme durable ou non.
Par ailleurs, à peine quelques mois plus tôt en octobre 2021, le prédécesseur de Magdalena Andersson – Stefan Löfven – redisait son opposition à relayer cette demande exprimée par EU-nämnden, la commission de l’UE du Riksdag [le parlement suédois].
Bien que Stefan Löfven soit plutôt pro-nucléaire, la position de l’ancien Premier ministre s’expliquerait selon les commentateurs par la nécessité de donner des gages à ses alliés écologistes dont étaient alors issus plusieurs ministres, tel Per Bolund le précédent ministre de l’environnement.
Problème, la constitution suédoise imposait à Stefan Löfven de respecter la demande de EU-nämnden de communiquer lors du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021 le souhait de la Suède de classer l’énergie nucléaire comme renouvelable.
Un refus jugé alors inacceptable par l’opposition qui a déclenché la procédure dite KU-anmälan de Stefan Löfven auprès de Konstitutionsutskottet, la commission constitutionnelle du Riksdag. Cet organe est chargé d’examiner l’exercice des fonctions du Premier ministre ainsi que la gestion des affaires gouvernementales.
Khashayar Farmanbar subira lui-même cette procédure à peine un mois et demi après sa nomination, en raison de la déclaration précitée que le parti d’opposition des Modérés considère comme fausse.
Selon le chef du groupe du parti des Modérés au Riksdagen Tobias Billström, il est important que le public reçoive des informations correctes sur l’approvisionnement en électricité de la Suède.
5. Faites ce que je dis, pas ce que je fais
Au rythme d’un scandale par semaine depuis le 30 novembre 2021, la perspective des élections du 11 septembre 2022 pourrait donner des sueurs froides à Magdalena Andersson. Cette dernière est elle-même au centre d’une embarrassante affaire révélée au début du mois de janvier 2022.
Quelques jours avant Noël 2021, le personnel d’une firme de nettoyage à domicile déclenche par erreur une alarme au domicile privé de la Première ministre à Nacka, dans la banlieue sud de Stockholm. Lorsque la police arrive sur place, elle procède au contrôle des personnes présentes, découvrant une employée de 25 ans sans titre de séjour et en instance d’expulsion vers le Nicaragua pour séjour illégal sur le territoire suédois.
Selon le journal Expressen, l’entreprise de nettoyage en question est dirigée par une personne condamnée pour fraude fiscale et fausses factures. Par ailleurs, la société n’offrait pas non plus de convention collective à ses employés.
Magdalena Andersson s’exprimera pour la première fois le 8 janvier en déclarant sobrement ”Även vi som vill göra rätt kan råka ut för oseriösa” (« Même nous qui voulons faire ce qui est correct pouvons être exposés à des personnes malhonnêtes »).
Au-delà de l’humiliation de la Säkerhetspolisen (équivalente à la Direction Centrale du Renseignement Intérieur français) en charge de la sécurité du Premier ministre, le constat que le cabinet de cette dernière n’a visiblement jamais effectué de vérification de ce prestataire pourtant employé depuis des années par Magdalena Andersson provoque la consternation.
La question de l’absence de convention collective peut paraître un point de détail mais dans la psyché social-démocrate suédoise, c’est un sévère affront – cf. le programme du parti – certainement difficilement acceptable par les membres de base.
Un traitement de faveur ?
L’observateur avisé de la vie politique suédoise ne pourra s’empêcher de noter le traitement médiatique relativement clément du gouvernement Andersson dont aucun ministre n’a pour l’instant dû démissionner.
Une autre prétendante social-démocrate au poste de Premier ministre – Mona Sahlin – n’avait pas bénéficié dans les années 90 d’une telle mansuétude lors du tristement célèbre « scandale du Toblerone ».
Il est évident qu’une photo de jeunesse d’un ministre qui serait issu du parti SD (Sverigedemokraterna, extrême-droite) et levant le bras droit aurait été un outrage de portée nationale plutôt que de susciter des articles visant à relativiser ce geste comme c’est le cas pour Ida Karkiainen.
De même, le tapage médiatique orchestré par Aftonbladet autour de l’achat de la maison d’Ebba Busch Thor (dirigeante du parti chrétien-démocrate) ne serait pourtant qu’un murmure comparé au scandale d’un Premier ministre de droite qui emploierait une firme de nettoyage aussi douteuse que celle de Magdalena Andersson.
Le gouvernement actuel semblerait presque pouvoir faire sienne la devise d’un des personnages de la série norvégienne « Exit » (disponible gratuitement sur SVT Play), le cynique financier Adam Veile incarné par le suédois Simon J. Berger.
Interrogé par la police qui le soupçonne, il se contente d’un laconique et quelque peu arrogant « jag är duktig att komma undan med vad som helst » (« je suis doué pour me sortir de n’importe quelle situation »).
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Super article merci pour toutes ces infos traduites