Scandales au royaume de Suède : le paradoxe du syndrome de Stockholm

Durant l’été 1973, un hold-up dans une banque à Stockholm tourne mal. Les braqueurs sont obligés de prendre en otage 4 employés qu’ils vont séquestrer durant 6 jours. Les négociations aboutiront finalement à la libération des otages. L’histoire en serait restée là si les otages n’avaient pas réagi de manière totalement inattendue… Et dorénavant célèbre ! Voici comment est né le célèbre « syndrome de Stockholm », aujourd’hui remis en cause par certains experts.

Le holp-up

C’était il y a 50 ans. Le 23 août 1973, Jan Erik Olsson, arme au poing, pénètre dans le bâtiment de la Kreditbank à Norrmalmstorg dans le centre de Stockholm. C’est un hold-up ! L’alerte est donnée et la police intervient rapidement mais ne peut arrêter le forcené. Janne Olsson tire puis s’enferme dans le coffre-fort avec 4 otages, Birgitta Lundblad (31 ans), Elisabeth Oldgren (21 ans) et Kristin Enmark (23 ans) ainsi que Sven Säfström (24 ans).

Il exige 3 millions de couronnes et une voiture, une Ford Mustang. Il demande aussi qu’un bandit de grand chemin, Clark Olofsson, son ancien co-détenu, vienne le rejoindre sur les lieux. Olofsson est dépêché sur place, chargé par la police d’essayer de convaincre Janne Olsson de se rendre mais il s’allie à son ancien cothurne et s’ensuit une semaine de menaces, de tentatives de négociations, le tout sous une couverture médiatique intense. La police tente d’intervenir à plusieurs reprises, sans succès.

Par deux fois, Olofsson, Olsson et deux des otages se sont entretenus avec le Premier ministre de l’époque, Olof Palme. La conversation téléphonique de Kristin Enmark avec Palme a été diffusée en direct à la radio. Le 28 août, la police finit par utiliser un gaz asphyxiant. Les deux preneurs d’otages se rendent à la police. Aucune perte humaine n’est à déplorer.

© Wikimedia commons – Norrmalmstorg, le bâtiment anciennement Kreditbank

La réaction des otages : naissance du syndrôme de Stockholm

Alors que leur vie était sérieusement menacée par les bandits, les otages se sont interposés entre les truands et les forces de l’ordre, puis, une fois libérés, ils ont pris leur défense en refusant de témoigner contre eux. Ils sont même allés les voir en prison comme s’il s’agissait de leurs meilleurs amis !

De cette réaction surprenante et contraire à ce qui est attendu est né un terme psychiatrique ; « Le syndrome de Stockholm », qui décrit une situation, fondamentalement paradoxale, où les agressés développent des sentiments de sympathie, d’affection, de fraternité, de grande compréhension voire d’amour vis-à-vis de leurs agresseurs. Il y a souvent adhésion à la cause des agresseurs.

Ce syndrome a pu être ainsi observé à de nombreuses reprises, dans des situations où, lors d’une prise d’otage violente et dangereuse, les otages s’en prennent verbalement aux policiers. Ils soulignent avec sincérité et colère à quel point les forces de l’ordre, qui pourtant interviennent et négocient pour les libérer, sont considérés à l’origine de ce qui leur arrive et incapables de comprendre les arguments des preneurs d’otages, et par extension sont la cause de leurs malheurs.

Que sont-ils devenus ?

Janne Olsson a été condamné à dix ans de prison et a purgé sa peine. Au milieu des années 1990, il s’installe en Thaïlande, fuyant son pays en raison d’un délit financier lié à son entreprise. En 2006, il revient en Suède en se dénonçant à la police. Cependant, il y a prescription sur cette dernière affaire. Il publie alors sa biographie et il possède depuis 2019 sa propre entreprise de concessionnaire automobile, à Mörarp, en Scanie.

Clark Olofsson n’a rien d’un petit délinquant. Lors de cet événement, il a sorti clandestinement une grosse somme d’argent de la banque sans que l’on sache comment. Il a été reconnu coupable de vol, mais acquitté par la cour d’appel parce qu’il affirmait n’avoir agi que pour protéger les otages et qu’en outre, il avait le consentement tacite de la police. Par la suite, il commet d’autres braquages, est impliqué dans des trafics de drogue et même des vols d’oeuvres d’art. Il est emprisonné, s’échappe puis récidive. Il étudie le journalisme au début des années 80. il se marie mais ne renonce pas à son statut de gangster pop, notamment avec une grosse affaire de drogue qui lui vaut une peine de 14 ans d’emprisonnement. En 2018, Olofsson est libéré. Dans un entretien, il déclare n’avoir « aucun regret » sur sa vie et enfin pouvoir devenir un « retraité heureux ».

Livre de Kristin Enmark aux éditions Ordupplaget

Sur les quatre otages, deux quittèrent leur emploi, l’une devenant infirmière, l’autre assistante sociale.

Kristin Enmark a plus de 70 ans aujourd’hui. Elle a travaillé comme thérapeute depuis de nombreuses années et vit à Stockholm. Elle a publié un livre, « Jag blev Stockholms syndromet » en 2015. Elle a entretenu une relation amoureuse avec Clark Olofsson dans les années qui suivirent l’événement, puis ils se sont séparés mais sont restés en bons termes.

La Ford Mustang. après une longue période de décrépitude a été retapée et on a pu l’admirer sur Norrmalmstorg le 23 août 2023 pour le 50ème anniversaire de la prise d’otages.

La polémique autour de l’événement

L’affaire a fait grand bruit à l’époque. Mais très vite, des manquements sont évoqués. La police aurait fait preuve d’un manque de maîtrise de l’événement, rendant la situation plus dangereuse et instable qu’elle ne l’était déjà. C’est pour cela que les otages craignaient pour leur vie : non pas à cause des preneurs d’otages, mais des forces de l’ordre.

De plus à la fin de la prise d’otage, les vives critiques émises par Kristin Enmark sur le comportement dangereux de la police et de Nils Bejerot, psychiatre de son état, pendant les 6 jours de la prise d’otages ont alors été évaluées par ce dernier comme incohérentes, sous le prétexte d’un syndrome traumatique qu’il venait d’inventer, le fameux « syndrome de Stockholm ».

Cette évaluation psychiatrique étonnante le dédouanait ainsi de toutes critiques dans la gestion de l’événement. Pour cette raison, le syndrome de Stockholm est aujourd’hui remis en cause par les psychiatres suédois. Ils considèrent que le comportement des otages étaient un mécanisme de défense permettant aux victimes de faire face à une situation traumatisante, ce qui se retrouve souvent dans les cas de violence domestique ou d’autres types de situations abusives.

Pour en savoir plus…

En 2019, le film Stockholm de Robert Budreau avec Noomi Rapace, Ethan Hawke, Mark Strong donne une interprétation burlesque de cette histoire. Une série Netflix de 2022, Clark, relate la vie de Clark Olofsson.

Bons visionnages !

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A propos Anne D 33 Articles
Basée à Stockholm depuis 2008, Anne aime observer ce qui l'entoure, expérimenter (même après toutes ces années !) l'exotisme des supermarchés et évoquer les décalages de la vie suédoise prêtant à sourire ou à réfléchir.

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