2020, vers la reconnaissance du peuple sami ?

Femme sami et un renne
©Anna Öhlund/imagebank.sweden.se

Le 6 février est le jour de la fête nationale samie. À Stockholm, elle donne lieu à des manifestations culturelles et au lever du drapeau sami dans les jardins de l’hôtel de ville, un symbole fort pour ce peuple autochtone. Les Sames, ce sont 80 000 à 100 000 individus répartis sur les territoires du nord de la Norvège, la Finlande, la Suède et la péninsule de Kola en Russie qui constituent le dernier peuple minoritaire et nomade d’Europe. 

Une couverture médiatique nouvelle

Si ce jour de fête donne une bonne occasion de parler des Sames, le reste du temps, ils font rarement les gros titres dans la presse. Pourtant, durant l’année qui vient de s’écouler, on a vu un certain nombre d’événements couverts médiatiquement non seulement en Scandinavie mais aussi au niveau mondial : décisions juridiques sans précédent, manifestations culturelles hautement symboliques, mise en place de commissions spécifiques, mais aussi films, expositions multiples… Les feux des projecteurs semblent vouloir éclairer Sápmi, la terre ancestrale de ce peuple qui, il n’y a pas si longtemps de cela, était encore largement ignorée.

Carte de Sápmi. Dessin de Anders Suneson

Une politique raciale envers les Sames

Les quatre États traversés par Sápmi n’ont pas toujours été tendres avec les Sames. Ceux-ci ont subi une politique d’assimilation durant de longues années, dans l’indifférence la plus totale. Ils ont été discriminés, refoulés, annihilés. Aujourd’hui, ils exigent de la part de ces États qui les ont oppressés reconnaissance, excuses et réparations. Ces derniers font de plus en plus preuve de compréhension et sont prêts à oeuvrer pour une réconciliation mais le poids de l’histoire tant du côté des politiciens que de celui des Sames, surtout parmi les anciens, et la lenteur de leurs actions ralentissent ce laborieux processus. Pourtant, les choses bougent indéniablement et aujourd’hui un rapprochement semble envisageable.

Le jugement sans précédent de Girjas 

Situé dans la commune de Gällivare, tout au Nord de la Suède, Girjas est un sameby, une sorte de commune regroupant plusieurs familles samies. La plupart des Sames établis à Girjas depuis des générations élèvent des rennes et vivent dans le respect de la nature selon leurs croyances et leurs coutumes ancestrales. Le 23 janvier 2020, au terme d’une bataille juridique de dix ans, la Cour suprême de Suède a accordé aux Sames de Girjas les droits exclusifs de chasse et de pêche sur leur territoire, une longue vallée couvrant plus de 5 000 kilomètres carrés. La Cour suprême étant la plus haute autorité, cette décision pourrait faire jurisprudence et s’étendre aux 50 autres samebyar de Suède et sans doute avoir un retentissement jusqu’en Norvège, en Finlande, et en Russie.

©Natalia Kollegova/Pixabay

Les crânes de Lycksele

Le 9 août 2019, à Lycksele dans le Västerbotten, à huit cent kilomètres au nord de Stockholm, a eu lieu un événement bien particulier. Ce jour-là, 25 crânes samis, enveloppés d’une écorce de bouleau, ont été remis en terre lors d’une cérémonie officielle en présence de Sames en costume traditionnel, d’archéologues et d’officiels suédois. Ces vingt-cinq crânes avaient été exhumés dans le cimetière du village et envoyés à l’Historiska museet de Stockholm dans les années 1950 comme matériel archéologique à étudier. A l’époque, les Sames étaient considérés comme appartenant à une sous-race. Les ossements ne sont retrouvés qu’en 2013. Ils ont été restitués lors de cette cérémonie dans un geste symbolique très fort. “C’est un pas inédit dans le processus de décolonisation, un chemin vers la réconciliation”, ont affirmé les Sames. Cette cérémonie pourrait amorcer le retour des ossements dans d’autres communes. Onze institutions suédoises conserveraient toujours des ossements samis dont le Parlement sami a plusieurs fois demandé le rapatriement dans leur lieu d’origine.

Une commission vérité en Finlande

Alors que la prise de conscience récente de la violence de la politique raciale envers les Sames s’étend à l’international, les États font de plus en plus preuve d’une volonté d’agir pour apaiser les rancoeurs. La Norvège a montré l’exemple, créant une commission « vérité et réconciliation » en 2017, dont les travaux sont actuellement en cours. En Suède, le projet est en gestation. La Russie est à la traîne. Tout indique que les Sames de Finlande auront leur commission vérité et réconciliation avant la fin de l’année 2020. Présidée par cinq commissaires indépendants sélectionnés d’ici le printemps, ses travaux s’échelonneront sur deux ans. Elle aura pour mission de déterminer la part de responsabilité du gouvernement finlandais dans le processus d’assimilation des populations samies et de lui recommander des pistes de solutions pour parvenir à une réconciliation. Il s’agit avant tout de reconnaître et de faire cesser les violations graves des droits de l’homme telles que la désappropriation des terres et des cultures et les nombreuses formes de discriminations individuelles ou collectives dont les Sames ont été victimes.

La pile de têtes de Máret Anne Sara

En Norvège, le jeune éleveur Jovsset Ante Sara s’est vu imposer en 2016 l’abattage d’une partie de son cheptel afin de le réduire de 300 à 75 bêtes, un nombre nettement inférieur à celui nécessaire pour la rentabilité de son exploitation. Cette décision des autorités norvégiennes, statuant contre l’avis de l’ONU, ordonnait à l’éleveur de réduire son troupeau en insistant sur la nécessité de mettre en place une « renniculture durable ». L’argumentaire utilisé est fortement décrié par les syndicats d’éleveurs du Finnmark et les observateurs internationaux, qui y voient plutôt un vestige d’une politique éco-colonialiste. À ce jour, le jeune éleveur n’a eu comme solution pour sauver son activité que de changer le signe distinctif de ses bêtes pour celui du troupeau d’un membre de sa famille. De son côté, l’artiste et activiste Máret Ánne Sara, la soeur de l’éleveur, mène des actions militantes pour le droit à pouvoir vivre de l’élevage. Pour protester contre cette décision, elle a créé l’oeuvre en 2016 Pile o’ Sapmi, un empilement de 200 têtes de rennes ensanglantées placé sur le parvis du tribunal où le cas de son frère était jugé. Pile o´Sápmi a évolué depuis pour devenir un mouvement artistique interdisciplinaire au sein duquel elle fait appel à d’autres artistes.

Pile o'Sápmi
Pile o’Sápmi. Source : site officiel de l’artiste Máret Anne Sara https://maretannesara.com/

Art et culture, les belles expositions samies

En plus des expositions permanentes sur Sápmi au Nordiska museet, du campement sami à Skansen, de nouvelles expositions sont visibles cette année. Au musée d’Upplandsmuseet d’Uppsala, on pourra voir des photos couvrant la période 1863–2010 dans l’exposition “I fotografiets tid – resor i Sápmi” du 6 février au 20 août. Au musée de Dalécarlie, c’est l’exposition “Ohtsedidh-Samiska kulturyttringar i Mellansverige” qui présentera les expressions culturelles samies de juin à août 2020. Mais la culture samie dépasse les frontières classiques des musées et des visites touristiques en Laponie pour s’inviter dorénavant dans le septième art. Le très beau film Sameblod, en décrochant de multiples prix dont le prix Lux du Parlement européen en 2017, a obtenu un large succès et a sûrement permis d’ouvrir les esprits en Suède et dans le monde entier sur la question samie. Le film finnois My dear mother qui aborde la question des générations volées et dont la première aura lieu dans les semaines à venir saura-t-il faire aussi bien ?

©Rolf Ärnstrom, photo issue de l’exposition I fotografiets tid – resor i Sápmi

 

Le Septième art au service de la culture samie 

En 2019, c’est surtout par le biais du dessin animé que l’on a pu découvrir la culture samie. Tout d’abord sur Netflix, grâce au dessin animé Klaus, où l’on peut voir la représentation du peuple sami sous les traits d’une petite fille et de sa famille. La présence de la culture samie dans un dessin animé proposé sur une plateforme telle que Netflix, diffusant ses oeuvres à grande échelle, lui confère une visibilité sans précédent. 

Mais le plus inattendu vient de Walt Disney qui a eu recours à un groupe d’experts sami pour le dessin animé Frost 2. Celui-ci a aidé l’équipe du film à acquérir des connaissances sur la culture, l’histoire et la vie sociale des Sames tout au long du processus de création du long métrage. Pour les instances samies, il était important de veiller à ce que la culture samie, qui a inspiré les réalisateurs, soit traitée avec respect et reconnaissance. Et pour couronner le tout, en juillet 2019, il a été annoncé qu’une version en langue sami du Nord du dessin animé 2 serait créée. Un vrai signe de reconnaissance en guise de remerciement.

Petite fille samie, image tirée du film Klaus

Le combat des Sames pour la reconnaissance du préjudice subi par leur peuple et la défense de leur culture ancestrale a été cette année plus que jamais d’actualité. Loin d’être apaisée, la situation est toujours source de tensions. Le jugement de Girjas a généré une augmentation de commentaires haineux. Un hashtag #backagirjas a été créé pour soutenir le village sami de Girjas. De leur côté, les Sames, anciens ou activistes, ont la rancune tenace et certainement du mal à accepter les excuses maladroites et tardives de la part des gouvernements. Mais il suffit de voir le nombre d’articles que l’on peut trouver dans les gros titres de la presse internationale sur le jugement de Girjas et imaginer le retentissement que peuvent avoir des dessins animés à succès pour s’en convaincre, la reconnaissance du peuple sami est en marche.

 

Pour en savoir plus sur la culture samie, regardez Sameblod d’Amanda Kernell, sur SVT Play jusqu’au 19 février (suédois avec sous-titres suédois).

Sans oublier bien sûr nos précédents articles :

A propos Anne D 27 Articles
Basée à Stockholm depuis 2008, Anne aime observer ce qui l'entoure, expérimenter (même après toutes ces années !) l'exotisme des supermarchés et évoquer les décalages de la vie suédoise prêtant à sourire ou à réfléchir.

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