Scandales au royaume de Suède : Scandale au royaume du sucre

© Bicanski från Pixnio

Vous aimez les bonbons, comme tout Suédois qui se respecte ? Peut-être que les expériences de Vipeholm vont vous faire changer d’avis… Découvrez l’un des plus grands scandales sanitaires de Suède et comment le concept terrifiant du lördagsgodis a vu le jour !

 

Vipeholmsexperimenten (1945-1955)

Les expériences de Vipeholm (Vipeholmsexperimenten) sont une série d’expérimentations humaines où les patients de l’institution gouvernementale pour handicapés mentaux de Vipeholm à Lund, en Suède, ont reçu de grandes quantités de sucre dans le but de provoquer des caries dentaires. Les expériences ont été parrainées à la fois par l’industrie du sucre et le conseil des dentistes (tandvårdsbyrån), dans le but de déterminer si les sucres affectaient la formation de caries.

A l’origine des expérimentations

La santé dentaire en Suède comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe était mauvaise au début du XXe siècle. Il n’était pas rare qu’au début du siècle, les caries soient très courantes, même sur les dents de lait des enfants. En 1938, le système public de soins dentaires publics a été introduit en Suède. Or on ne savait pas ce qui causait les caries : était-ce une maladie comme la tuberculose ou est-ce que des bactéries provoquaient la pourriture des dents ?

Échantillon de l’étude

Le choix de l’échantillon se porta sur les patients de l’institution de Vipeholm. Des hommes, des femmes, des enfants, un petit millier, qualifiés de « sévèrement retardés, avec des troubles du comportement », considérés à l’époque comme des sous-hommes, de 3 à 70 ans, qui vivaient dans le même environnement sur un laps de temps donné. Ces patients, capables de mâcher et de s’alimenter eux-mêmes, étaient recrutés pour l’étude dentaire. Sur environ 1 000 patients et 300 employés de l’institution, seuls 630 patients environ ont participé en tant que sujets d’étude.

© Wikimedia commons

 

Début de l’expérimentation

Au début de l’étude, les dents des patients ont été examinées de près. Il a été constaté que leurs dents étaient en bien meilleur état que celles de la population suédoise dans son ensemble (Pauvres, ils avaient moins accès au sucre !). Durant les deux premières années de l’expérience, les enfants ont reçu la moitié de la consommation moyenne de sucre d’un régime suédois typique. Des vitamines A, C et D ainsi que des comprimés de fluor ont été administrés, et aucun aliment n’était autorisé entre les repas. la fin de cette période, 78% des enfants ne présentaient plus de nouvelles caries.

Le lien enfin mis à jour

 

Le problème du financement

L’industrie du sucre ayant financé une grande partie de la recherche, elle attendait en retour des résultats prouvant l’inoffensivité des bonbons et du sucre. Mais ce que les chercheurs pouvaient conclure, c’était l’inverse ! Or le financement de l’étude dépendait des résultats… Les chercheurs modifièrent la conception de ces expériences en 1949 pour utiliser des quantités de sucre plus réalistes que les quantités exagérées précédemment utilisées. Ils reportèrent également la publication des résultats de 1949 à 1953, en raison de la pression exercée par l’industrie. Lorsque leurs découvertes furent enfin rendues publiques en 1953, une polémique éclata. L’industrie du sucre déclara les résultats de la recherche non valables et les politiciens reprochèrent aux chercheurs de ne pas rester objectifs.

© Acta Odontologica Scandinavica

Résultats et portée de l’étude

Les accusations ont finalement été étouffées et les expériences de Vipeholm sont devenues la preuve scientifique que les confiseries à mâcher provoquent des caries dentaires. Les résultats de ces expériences ont favorisé la diminution du nombre de caries. Ils ont permis de mieux comprendre les causes des caries et l’impact du sucre sur les dents. Les recommandations en matière d’hygiène dentaire furent complètement modifiées. La prévention a pris le pas sur les actes de réparation en termes de politique de soins dentaires.

Pas perdu pour tout le monde…

Deux chercheurs de Vipeholm, Lisa Swenander Lanke et Bo Krasse, poursuivirent leur collaboration après la fermeture de la station expérimentale en 1955, et lancèrent l’idée qu’une forte consommation de bonbons un jour par semaine était moins dangereuse qu’une consommation plus modérée tous les jours de la semaine. Et c’est ainsi qu’est né ce phénomène aussi improbable et hallucinant que lucratif des « bonbons du samedi » (lördagsgodis).

Et l’éthique dans tout ca ?

Au moment de la publication des résultats an 1953, le Conseil de l’Ordre des Médecins et le gouvernement ont été accusés d’avoir soutenu des expériences contraires à l’éthique, les notions d’information et de consentement ayant été totalement exclues. Ni les proches des patients, encore moins les patients eux-mêmes n’avaient donné leur consentement. Seule l’Association pour les droits des enfants en difficulté d’apprentissage fit en sorte que ces expériences soient finalement abandonnées en 1955, faute de financement et de risque d’être publiquement dénoncées comme mettant en danger les patients.

Si le nombre de caries augmentait, les soins apportés aux patients souffrant de caries étaient limités. Compte tenu de la population considérée comme sous-humaine, on soignait les patients les moins « retardés », et ceux qui étaient coopératifs, c’est à dire qui n’avaient pas peur des instruments du dentiste. Au mieux, on arrachait la dent.

A l’époque, il n’y avait pas de débat public sur l’éthique des expériences elles-mêmes, ce qui serait aujourd’hui impensable. Cependant, il faut remettre les choses dans  leur contexte, et ne pas oublier que les personnes présentant des troubles mentaux étaient déclassées, et qu’en plus de cela, il était considéré comme juste (!) qu’ils participent ainsi au développement des études scientifiques, en guise de remerciements pour les bons soins qui leur étaient prodigués… Mais à présent et c’est heureux, ces expériences sont considérées comme ayant violé les principes de l’éthique médicale. 

Affiche du film Sockerexperimentet, sorti en 2023

 

Ce scandale a donné lieu à un film Sockerexperimentet en 2023, réalisé par John Tornblad. Tous les bénéfices du film sont directement reversés à un fonds cinématographique destiné à soutenir de nouveaux projets de films par, avec et pour les personnes handicapées.

Lien pour le documentaire en VOD (version suédoise avec sous-titres) : https://www.sockerexperimentet.se/

 

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La Suède sucrée des godis et bonbecs

 

 

A propos Anne D 30 Articles
Basée à Stockholm depuis 2008, Anne aime observer ce qui l'entoure, expérimenter (même après toutes ces années !) l'exotisme des supermarchés et évoquer les décalages de la vie suédoise prêtant à sourire ou à réfléchir.

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