Ne jurons de rien ! Foutrebleu et cuistre suédois

Affiche du film "Fucking Åmål" par Sanna Mander
Affiche du film "Fucking Åmål" par Sanna Mander

Le juron est une exclamation plus ou moins vulgaire ou blasphématoire d’intensité particulière pour exprimer le ressenti face à une situation ou donner plus de force à un propos. Selon les circonstances, le juron proféré peut se transformer en insulte. Les jurons comme les insultes représentent toutes les dimensions linguistiques, géographiques et historiques d’une société, étant au coeur de la langue et de la culture. Les jeunes suédois jurent comme jamais et les jurons sont de plus en plus grossiers ! Fy tusan !

Leurs domaines de prédilection ? Le religieux, le sexe et le scatologique !

Autrefois, jurer relève presque de l’hérésie et blasphémer en public était passible de lourdes sanctions. Les insultes et jurons suédois sont traditionnellement peu sexuels mais plutôt liés à la religion avec une prédilection pour le diable et l’enfer. Depuis la réforme luthérienne, les jurons ayant rapport avec Dieu sont bannis alors que ceux en lien avec le diable se déclinent autour des connotations de stupre, vérole et syphilis. En effet, c’est une façon d’évoquer Dieu sans le nommer et d’éviter de blasphémer. En 1700, Mon Dieu (en français dans la bouche aristocratique de celui qui jure !) fait son apparition dans les salons, tandis que la plèbe se contente de Herregud ou simplement Men Gud!

Codex Gigas ou Djävulsbibel (La Bible du diable)
©Kungliga biblioteket/Claes Jansson/Per B Adolphson. https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/

Au cours de la première moitié du 20ème siècle, les euphémismes de satan tels que förbaskad, sablar ou jädrar mais aussi les mots phonologiquement proches tels que fasiken, fanken et leurs variantes kattsingen och sjuttsingen sont utilisés par ceux d’humeur chagrine qui n’osent pas proférer des jurons sataniques et diaboliques. Après la guerre, on jure plus vert et plus musclé, directement avec jävlar (diables), helvete (enfer), fan (satan) och skit (merde) mais aussi avec les variations de jävel (diable), ungjävel (sale gosse), gubbjävel (vieux schnokk) ou kärringjävel/ sattkärring (sale bonne-femme, vieille harpie) mais aussi Din jävla förbannade (espèce de damné crétin).

Du brut importé !

De maudits mots voyageurs participent depuis les années 2000 à une libération de la parole raciste et homophobe et un nouveau type de jurons et d’injures apparaît, utilisant des mots de genre et de sexe kuk (bite), fitta (chatte) och knulla (baiser). Fan et skit se traduisent en fuck et shit, laissant leurs référents culturels à la Perfide Albion ou à l’Oncle Sam. Ces jurons illustrent crûment la langue parlée de la génération de Fucking Åmål et du skitstövel (bottes de merde ou salaud). Fan et tusan sont toujours d’actualité, mais röv (cul) est tombé en désuétude. Des insultes et invectives véhiculant des valeurs sexistes et racistes din morsa (ta mère…),  hora (pute) et bög (pédé) banalisent ce qui jouait autrefois le rôle d’un exutoire libérateur. Ces insultes venimeuses mais standardisées nourrissent une malsaine et latente violence verbale, loin de la société bienveillante.

Scène érotique, l'empereur Auguste et Livia, dessin à l'encre de chine de Johan Tobias Sergel, 1ère moitié du XVIIIème siècle
Scène érotique, l’empereur Auguste et Livia, dessin à l’encre de chine de Johan Tobias Sergel, 1ère moitié du XVIIIème siècle ©Sanna Argus Tiren/Nationalmuseum

Du juron mignon, foutrebleu !

Néanmoins, les Suédois ont gardé le goût du juron truculent, coloré et bon enfant sans grossièreté triviale. Milda Matilda, fy bubblan, hujeda mig, järnvägar, förgrymmat, götapetter, söte göte, sont des expressions pour jurer façon Capitaine Haddock avec des expressions imagées et relativement innocentes. Créatifs en jouant avec la langue les quolibets fleuris dra åt skogen ou dra ditt peppar växer (« Va voir dans les bois » ou « Tire- toi là où pousse le poivre ! ») ou le mullig mansgris (gros verrat) s’adresse au beauf phallocrate et snuskgubbe au vieux pervers. Le client d’une slyna (prostituée) sera qualifié de torsk (cabillaud).

La peste soit des mots grossiers et de la grossièreté, « il ne faut jurer de rien et encore moins défier personne ». La bienséance en suédois, même lors d’une situation critique et énervante, préfère utiliser les quolibets hauts en couleur ou des interjections bien salées,  afin de redonner du piquant à ces sempiternelles litanies de shit et fan qui ponctuent à tout bout de champ notre quotidien.

Le Capitaine Haddock jurant

Notre top 5 !

Förbaskad fjant = Avorton damné
Fåntratt = Tête d’entonnoir ridicule
Järnspikar = Clous de fer
Jösses ! = Doux Jésus !
Brackefnes ! = Gros péteur éclatant ! ou Bougre de crème d’emplâtre à la graisse de hérisson ! (pour une traduction plus libre)

A propos Sylvie R 181 Articles
En Suède depuis plus d' une trentaine d'années, j'ai habité Uppsala, Ultrå à côté d'Örnsköldsvik et Torserud dans le comté de Värmland, vit depuis 20 ans à Nacka. Après trois décennies comme enseignante titulaire au Lycée Français Saint-Louis, je suis doula, coach de grossesse et accouchement à Stockholm. J'adore écrire et aime partager mes bons plans et bons coins en Suède.

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