Il y a 70 ans, l’appel de Stockholm : un plaidoyer oublié ?

"Trygghet"
Cette caricature pacifiste de 1958 met en évidence l'impasse géopolitique à laquelle paraissait conduire le programme nucléaire suédois (1946-1968) : au nom d'une hypothétique sécurité ("trygghet"), le pays, en se dotant de l'arme absolue, contribuerait à la prolifération nucléaire dans un monde devenu surarmé. Or ses possibilités techniques étant infiniment plus faibles que celles de l'Union Soviétique et des Etats-Unis d'Amérique, cette politique d'indépendance nationale s'avérerait non seulement un leurre, mais une erreur. ©Stockholmskällan

Avez-vous jamais entendu parler de l’appel de Stockholm ? C’est un appel d’une autre époque. L’époque de la guerre froide. Nous sommes en mars 1950, le 19, il y a 70 ans : cet appel, c’est celui lancé à Stockholm par une poignée d’intellectuels pacifistes, essentiellement communistes ou compagnons de route du Parti communiste, désireux d’abolir sinon la guerre, du moins l’arme atomique.

L'affiche se veut promotionnelle. Elle entend dénoncer, via les ogives nucléaires visibles à l'arrière-plan, la politique nucléaire des Etats-Unis.
L’Appel de Stockholm vu par le PCF (1950). L’affiche se veut promotionnelle : il s’agit d’inciter à signer l’appel. S’adressant aux hommes, mais aussi aux femmes françaises qui viennent d’obtenir en 1944 le droit de vote, elle entend parallèlement dénoncer la politique nucléaire des États-Unis, ainsi que le montrent les ogives nucléaires visibles à l’arrière-plan, suspendues au-dessus d’un paysage de ruines où s’alignent de fantomatiques « croix de bois ». ©Producteur : Parti communiste français (PCF) Auteur : FOUGERON André (dessin). Éditeur / Imprimeur : Imprimerie du PCF.

Un appel millionnaire

Sans que la fiabilité des statistiques, insuffisante, permette de déterminer un nombre précis, on sait que l’appel fit écho, recueillant en Europe des millions de signatures, et non des moindres : citons Picasso, Montand, Neruda, et, versant scandinave, des personnalités aussi différentes que la romancière suédoise Moa Martinson ou le politicien finnois Urho Kekkonen.

Gageons que, dans le contexte sanitaire présent, cet anniversaire ne fera pas grand bruit : n’oublions pas pourtant que, si les angoisses nucléaires sont dans l’ensemble retombées, le risque, lui, perdure. Bref, il faut se rappeler l’appel, se souvenir des doutes, idéaux et tensions qui le rendirent possible, et s’interroger sur la place de la Suède dans la géographie de la paix.

 

L’arme atomique, « arme d’épouvante et d’extermination massive »

« Nous exigeons l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations. Nous exigeons l’établissement d’un rigoureux contrôle international pour assurer l’application de cette mesure d’interdiction. Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n’importe quel pays, l’arme atomique, commettrait un crime contre l’humanité et serait à traiter comme criminel de guerre. Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel. »

L’appel est court. Le ton, ferme et résolu. L’idée pourtant n’est pas nouvelle. En 1947, l’Union soviétique en a déjà fait la demande, à l’occasion du rapport Jdanov. Exigence paradoxale pour une puissance militaire de première importance, dont les paroles n’ont jamais été en concordance avec les actes.

« Crime contre l’humanité », « anéantissement ». Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), il n’est certes pas anodin d’employer ces expressions lourdes de sens et d’histoire. Les mots ont été choisis et pesés par l’intellectuel communiste Frédéric Joliot-Curie, récipiendaire du prix Nobel de Chimie quinze plus tôt, et son entourage. Moins d’un an auparavant, ce scientifique et intellectuel engagé a fondé un « Conseil mondial de la paix » (World Peace Council) qu’il préside jusqu’en 1958 : en mars 1950, le Conseil se rassemble à Stockholm, dans un contexte il est vrai très particulier.

Il y a alors urgence : depuis trois ans, deux blocs s’érigent, se font face, se menacent réciproquement : c’est le bloc de l’Ouest, c’est le bloc de l’Est, celui des « deux Grands », des deux grands vainqueurs de la dernière guerre mondiale, l’Union Soviétique et les États-Unis d’Amérique, unis un temps par la lutte commune contre le totalitarisme nazi.

Cinq ans auparavant, la course atomique a débuté ; course folle d’une folle épopée, l’épopée humaine, qui dit tout ce qu’a pu être le XXème siècle, siècle d’excès, qui positifs, qui négatifs, où tout s’accélère, et où, toujours plus, les tensions locales menacent de dégénérer en périls globaux. Et en 1950 plus que jamais, quand en janvier, un vaste effort national est annoncé publiquement aux États-Unis pour mettre sur pied, puis perfectionner une « bombe H », aux capacités de destruction incomparablement supérieures à celles de la bombe « A ».

Rappelons-nous, 1945 : Hiroshima, Nagasaki, les premières bombes atomiques. Quatre ans plus tard, le bloc de l’Ouest est en émoi. Il découvre, stupéfait, que Staline a fait exploser au Kazakhstan une bombe de même type : l’URSS vient d’entrer à son tour dans le club atomique, faisant perdre aux Etats-Unis leur monopole atomique. Un club à deux, club fermé encore en 1950, et qui s’élargira par la suite à la Grande-Bretagne (1952), à la France gaullienne (1960), à la Chine maoïste (1964) et à d’autres pays, faisant encourir le risque d’une incontrôlable prolifération nucléaire. Dans ce contexte, la question nucléaire, véritable problème humain, soulève des enjeux éthiques puissants dont ne tardent pas de s’emparer les intellectuels.

Affiche produite en 2015 par le World Peace Council (WPC)
Affiche produite en 2015 par le World Peace Council (WPC), à l’occasion du 65ème anniversaire de l’Appel. ©WPC

 

Depuis les années 1920, une mobilisation intellectuelle de grande ampleur

Les progrès technologiques fulgurants de l’URSS inquiètent la Suède et stupéfient le monde. On les attendait, certes. Mais non aussi précocement. Le monde… et quel monde ! Un monde en guerre. Mais quelle guerre ? Plutôt, quel type de guerre ? Une guerre froide, guerre toute nouvelle, « paix impossible, guerre improbable » (Raymond Aron, Le Grand Schisme, 1948).

Guerre froide, vraiment ? Elle n’est froide, et encore, qu’entre les deux superpuissances de l’époque, tandis que la France depuis quatre ans s’embourbe en Indochine, que les tensions partout ne cessent de croître, à Berlin, à Prague, à Pyongyang, à Séoul, à Pékin, qui – autre coup de gong – vient en 1949 de basculer de façon décisive avec Mao Zedong dans la constellation communiste. Rien n’apparaît plus chaud que la guerre froide.

Einstein l’a bien compris. Lui, l’apôtre du pacifisme, de cette antique idée alors pleine d’avenir, lui qui en est l’un des visages les plus fameux, lui enfin qui, depuis les États-Unis, vient de publier en 1949 un ouvrage dans lequel il fait état de ses inquiétudes quant au sort du monde. Guerre à la guerre ! C’est son idée, son idéal, chevillés au corps. Il partage, comme toute sa génération qui a connu 14-18 – la prétendue « Der des Ders » – et qui a vu, qui a fui le nazisme, qui a commencé d’entendre parler du Goulag, il partage, oui, comme cette génération désabusée, le sentiment que l’humanisme est le cœur même de la mission d’un intellectuel. Pour que jamais ne résonne le mot de Corneille, le mot du Cid : « Et le combat cessa faute de combattants. »

D’où la vitalité associative qui, depuis les années 1920, réunit dans de nombreux pays européens les anciens combattants décidés, pour les plus déterminés, à abolir la guerre, à ce qu’il n’y en ait plus guère.

 

Mir, un mirage ?

Albert Einstein, Bertrand Russell, Frédéric Joliot-Curie, combien d’autres ? Le monde de la science se mobilise en ces années d’après-guerre. Mais ce monde, comme les autres, est traversé de frontières, de frontières mentales, culturelles, de ces frontières de la guerre froide, devenues des barrières, qui divisent les pays et les hommes. Einstein ne signera pas l’Appel : car l’appel de Stockholm a une coloration politique évidente. Tel est le point de vue de Washington, au temps du maccarthysme. Tel est aussi celui de Paris, qui sanctionne Frédéric Joliot-Curie en lui retirant la présidence du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). L’Appel de Stockholm ? Ne serait-ce pas, au fond, un « Red Appeal », une manœuvre soviétique destinée à utiliser la « paix » comme instrument de séduction massive ? мир (mir), « la paix », dans la langue russe : mir, un mirage ?

Tylösand (1956). Cette photographie de Cartier-Bresson, contemporaine des "Trente Glorieuses", pourrait servir d'illustration à l'émancipation précoce des femmes en Suède ainsi qu'au désir d'automobile, au lendemain des temps de pénurie de la guerre.
Tylösand (Henri Cartier-Bresson, 1956). Cette photographie, contemporaine des « Trente Glorieuses » et de « l’accès à la société de consommation », pourrait servir d’illustration à l’émancipation précoce des femmes en Suède, ainsi qu’au désir d’automobile, au lendemain des temps de pénurie mondiale de la guerre. ©MagnumPhotos

Mais les doutes émis par l’administration américaine ne résistent pas à l’examen des faits, qui montre que la Suède, sans adopter franchement une politique atlantiste, n’a décidément aucune affinité, historique non plus que géostratégique, avec l’Union soviétique. Entre les deux pays, les divergences idéologiques sont trop grandes. En Suède, elles réactivent inlassablement l’opposition historique entre les deux nations et la peur de « l’Ours sibérien ». En 1950, le communisme, pour ainsi dire, ne pèse rien en Suède, à la différence de la France où son audience électorale est élevée, et où il continue d’exercer longtemps une attraction considérable.

Du bruit pour rien ?

Ainsi, si le retentissement médiatique de ce plaidoyer pacifique est remarquable, s’il a assurément marqué les esprits et l’opinion publique internationale, si le Conseil Mondial de la Paix poursuit aujourd’hui encore ses activités, les effets concrets et la portée réelle de la pétition semblent bien faibles : non seulement, le club atomique va bientôt s’élargir et de « super-bombes » être élaborées, mais l’appel paraît même avoir conduit à une exacerbation des tensions idéologiques entre Washington et Moscou à la veille du déclenchement de la guerre de Corée (juin 1950). Enfin, la paix a ceci de commun avec la démocratie que tout le monde, sauf le diable, s’en réclame, et Moscou tout autant que Paris, et Washington non moins que Stockholm.

 

Suède, une trajectoire étonnante (1850-1950)

Stockholm, Suède, 1850 ! Tête et capitale d’un pauvre pays, pays d’émigration, pays d’infortune : au milieu du XIXème siècle, tout le monde s’y accorde. Pauvreté, pour ne pas parler de misère. La Suède, et plus largement la Scandinavie, déversent alors sur les mers, et d’abord sur l’Atlantique, des migrants par milliers, par millions. Voilà l’Ancien Monde qui rejette vers le Nouveau, vers la prometteuse Amérique, des individus sans avenir dont l’Océan charrie les ambitions les plus folles et tous leurs rêves de prospérité.

Suède, 1950 : retournement de situation et de trajectoire, le pays devient une locomotive après avoir été à l’arrière-train de la modernité. Déjà, les costumes traditionnels ont disparu. Se souvient-on des mots d’André Bellessort sur la Dalécarlie, en 1911 ? « D’une commune à l’autre, le dialecte, le vêtement, l’esprit changent. » (La Suède).

Quarante ans plus tard, tout a changé. En Dalécarlie comme ailleurs, comme en témoigne l’universitaire Lucien Maury en 1951 dans sa Métamorphose de la Suède : ils ne sont plus qu’une relique d’un temps révolu. Il importe peu, : pour beaucoup, la Suède, en se modernisant, peut faire l’économie du folklore.

 

Suède : un modèle ?

Depuis les années 1930, les titres se multiplient donc, qui vantent ce que l’on nommera bientôt avec emphase le modèle suédois. L’image internationale du pays s’en trouve bouleversée. Le gouvernement social-démocrate de Per Albin Hansson, auquel succède en 1946 Tage Erlander, engage toujours plus le pays sur la route de l’État-Providence (välfärdsstat).

En février 1950, l’écrivain Emmanuel Mounier, qui s’en revient d’un voyage en Scandinavie, en fait le constat pour la revue Esprit. Dans ses « Notes scandinaves », il s’étonne en effet de la rapidité fulgurante du rattrapage suédois après 1918 et souligne les progrès qui lui « ont permis de marcher à la gloire nouvelle que donnent la prospérité, l’équipement, l’ordre civique ». Et de conclure, enthousiaste : « Heureux pays ! »

 

La Suède : une vocation missionnaire

Si, en 1950, le pacifisme n’a encore ni vrai symbole – la colombe de Picasso est jeune d’un an – ni vrai drapeau, il a déjà une géographie : où le Nord scandinave occupe une place centrale. Car à l’image de la Norvège, la Suède, membre de l’ONU depuis 1946, est animée par une éthique, par une morale pacifique et par une vocation missionnaire qui en font l’un des pays les plus ardents à défendre la paix et se défendre de la guerre.

Peut-être aussi par une volonté de redorer un blason quelque peu terni par les ambiguïtés de sa neutralité pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans tous les cas, ce n’est pas le fait du hasard si le premier secrétaire général de l’ONU, Trygve Lie (1946-1952), fut un Norvégien, quand son successeur, Dag Hammarskjöld (1953-1961), fut quant à lui citoyen suédois. L’élection du premier fut le résultat d’un compromis : Moscou soutenant la candidature d’un Yougoslave, Washington celle d’un Canadien, la désignation d’un Norvégien devait en théorie apaiser cette querelle. Il n’en sera rien, Moscou ne tardant pas à fustiger l’alignement atlantiste de T. Lie, argumentation reprise bientôt à l’encontre de son successeur, le Suédois Hammarskjöld.

Et que dire de l’envoi de médiateurs dans des zones de conflits, à l’instar de la mission périlleuse – elle lui coûtera la vie – du diplomate Folke Bernadotte en Palestine en 1948 ?

A gauche, le saxophoniste américain Coleman Hawkins à Stockholm en 1950. A droite, l'ambassade soviétique, Villagatan 17.
Le saxophoniste américain Coleman Hawkins à Stockholm en 1950 (à gauche). L’ambassade soviétique, située Villagatan 17 (à droite). Si, d’un côté, la Suède craint l’expansionnisme soviétique d’une Russie qui l’a souvent menacée et continue alors d’être menaçante, le pays se refuse d’autre part à un strict alignement occidental, en dépit d’une réelle solidarité atlantique, reposant sur une triple affinité historique, politique et linguistique avec les pays anglo-saxons. ©Stockholmskällan

Souffle pacifique et ambivalence nucléaire

Aussi, quand, le 19 mars 1950, des journaux communistes tels que L’Humanité publient cet appel en forme de pétition lancé depuis Stockholm, la Suède entend n’appartenir à aucun des grands blocs qui structurent alors le monde. À la différence cette fois de la Norvège et du Danemark, la Suède n’a pas signé l’année précédente le traité de l’Atlantique Nord donnant naissance à l’OTAN (1949). Si la Norvège regarde par-delà l’Atlantique, si la Finlande est bien contrainte de se tourner un peu quoique prudemment vers Moscou, la Suède, elle, proclame avec force et non sans ambiguïtés parfois, son neutralisme et son tropisme baltique : la possibilité d’une troisième voie, autant que possible éloignée des grandes batailles idéologiques, indépendante des grands théâtres et grandes sphères d’influence américaine et soviétique de la guerre froide. Bref, c’était croire en un monde multipolaire, c’était vouloir briser un duopole, le duopole américano-soviétique.

Néanmoins, une question demeure : dans quelle mesure la Suède était-elle exemplaire sous le rapport du nucléaire ? N’y a-t-il pas contradiction ? On ne savait pas en 1950 ce que l’on sait mieux aujourd’hui : qu’il s’en fallut de peu pour que la Suède ne devînt, elle aussi, une puissance nucléaire. La Suède n’avait-elle pas mis sur pied en 1945-1946 des équipes chargées de penser l’équipement nucléaire du pays ? Un programme nucléaire avait ainsi vu le jour.

Mais dans quelle mesure la Suède avait-elle intérêt à se doter de l’armement atomique ? En fait, la politique nucléaire suédoise ne semble pas avoir été finalement très différente de la politique nucléaire française menée par les IVe et Ve Républiques. La France et la Suède entendaient faire chacune de l’arme absolue un instrument d’indépendance nationale, une force de dissuasion, un moyen d’insoumission de nature à contourner les assauts impérialistes des « Deux Grands » : mais là où la France devait parachever son programme, faisant exploser en février 1960 avec succès sa première bombe A dans ses territoires algériens, la Suède, elle, y renonça en 1968.

Cette renonciation ne fut certes pas étrangère à l’ardeur militante du  « Groupe d’Action contre la Bombe Atomique Suédoise » (Aktionsgruppen mot svensk atombomb, ou AMSA), groupe d’écrivains suédois qui s’était constitué en 1958 quand le programme nucléaire national avait été peu à peu médiatisé, suscitant à l’époque bien des remous dans l’opinion publique et les médias.

"Trygghet"
Cette caricature pacifiste de 1958 met en évidence l’impasse géopolitique à laquelle paraissait conduire le programme nucléaire suédois (1946-1968) : au nom d’une hypothétique sécurité (« trygghet »), le pays, en se dotant de l’arme absolue, contribuerait à la prolifération nucléaire dans un monde devenu surarmé. Or ses possibilités techniques étant infiniment plus faibles que celles de l’Union Soviétique et des Etats-Unis d’Amérique, cette politique d’indépendance nationale s’avérerait non seulement un leurre, mais une erreur. ©Stockholmskällan

Au-delà de toute cette histoire, tendue et complexe, au-delà des courants politiques et chapelles idéologiques, au-delà même du positionnement géopolitique et moral des nations scandinaves et de la nation suédoise, il faut finalement retenir de cet appel de Stockholm de mars 1950 le souffle pacifique qui l’animait et que venait d’alimenter la douloureuse mémoire de trente années de bellicisme. Et quelle mémoire, de fait : la mémoire des guerres, de la Shoah, des premières expériences nucléaires, de l’homme défait et déchu de sa condition humaine.

70 ans plus tard : peut-on parler d’un « esprit de Stockholm » ?

Que reste-t-il aujourd’hui de ce souffle ? À l’évidence, il paraît s’être épuisé. Le désarmement nucléaire et la sécurité collective ne sont plus des thèmes porteurs. Seule exception peut-être, l’attribution en 2017, à Oslo, du prix Nobel de la Paix à l’ICAN (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons).

L'ICAN reçoit le Nobel de la Paix (2017)
L’ICAN, dont les financements proviennent en partie de la Suède, reçoit en 2017 le prix Nobel de la Paix pour son engagement en faveur d’une démilitarisation nucléaire. ©REUTERS/Denis Balibouse

 

Pour ce qui est de la Suède, le pays a continué de s’affirmer pendant la guerre froide,  à l’instar de la Norvège, comme l’un des fers de lance du pacifisme, ainsi qu’en témoignent les écrits engagés de Per Anders Fogelström ou, plus anciennement, les actions résolues depuis 1883 de la « Svenska Freds » (SFSF). Cette promotion de la paix a également conduit à une institutionnalisation croissante, passant par la fondation en 1969 du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), par celle en 1971 du DPCR d’Uppsala (Department of Peace and Conflict Research), ou bien encore par la tenue, en 1984 à Stockholm, d’une conférence sur le désarmement.

"Une" du journal pacifiste Freden, en 1963.
« Une » du journal pacifiste « Freden », en 1963. Sobre, la manchette rappelle que « la paix est la plus importante des idées de l’humanité. » P.-A. Fogelström s’y fait le théoricien de la non-violence. ©Stockholmskällan

On se souvient, plus récemment, de son rôle en décembre 2018 dans l’apaisement momentané des tensions au Yémen. Ce volontarisme politique se brouille toutefois et continue de se heurter à la question de l’exportation d’armes et autres équipements militaires par le pays.

La Suède pourrait bien être en somme un pays moins aisé à cerner qu’il n’y paraît. Elle n’en demeure pas moins un acteur désormais historique et central du pacifisme, ainsi que l’a montré il y a soixante-dix ans maintenant, « l’appel de Stockholm ».

A propos Antoine V 5 Articles
Enseignant, sempiternel étudiant, j'enseigne depuis 2019 au Lycée Français Saint-Louis de Stockholm. Doctorant en Histoire contemporaine, je m'intéresse aux relations internationales depuis le XIXe siècle, et, au sens large, à l'histoire socio-culturelle européenne.

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